L’interview dans la presse du dix-neuvième siècle

Le 7 Mai, 1886, un reporter qui s’appelait Pierre Giffard a écrit un article fougueux en réponse à Albert Millaud. À l’époque, Millaud était un chroniqueur qui a détesté l’ascension du journalisme et de la reportage, et il a décrit ce dégoût dans un article dans Le Figaro le 6 Mai, disant que « la Presse, c’est à dire la représentation la plus absolue, la plus répandue de la littérature contemporaine, appartient non pas au plus instruit, au plus savant, au plus spirituel, mais au mieux informé ou au plus audacieux. » Il avait peur que le lecteur français deviendrait comme le lecteur americain, qui « est encore un lecteur dans l’enfance, incapable de comprendre les grandes choses de l’art et de la littérature. » Pour lui, ce débat entre la littérature et la presse représente une lutte pour le futur intellectuel de la France. 

Dans sa réponse, Giffard a écrit que « le public français a du goût; il ne s’attachera nullement à ces billevesées américaines dont on a tant sujet de s’irriter. Non, mais il lui faut du reportage tout de même. Et ce reportage, il l’exigera de plus en plus des journaux, à la condition qu’on le lui donne sous une forme littéraire, avec le souci de ne pas le choquer, et aussi de ne pas le tromper. » Mais qu’est-ce qui différencie le journalisme américain du journalisme français ? Une différence était l’interview.

Personne ne sait certainement qui a fait la première interview, mais c’était une type du journalisme qui est devenue populaire aux États-Unis en deuxième mi-temps du dix-huitième siècle — en particulier, pendant les années 1860s. En France, c’était une conversation, une déclaration, un entretien, ou une entrevue, avant le mot “l’interview” (un anglicisme) est devenu populaire. Un journaliste demanderait une question au personnage public, et après obtenant leur réponse, le journal publierait leurs mots sur la page. Les européens ont considéré l’interview comme un article très américain, et ils étaient lents à adopter cette forme du journalisme. En fait, c’était un journaliste américain, James Creelman, qui était le premier journaliste qui a fait un interview avec le président de la France ! En 1897, Félix Faure est le premier président de la république française qui est interviewé.

Quelques années avant cet interview, Émile Zola est interviewé sur l’interview en 1893 dans Le Figaro. Zola était connu pour son travail dans la littérature avant l’Affaire Dreyfus à la fin de 1894, qui le propulse sous les projecteurs du journalisme. Mais en 1893, Zola a dit que l’interview est une forme d’art. 

 « C’est une chose excessivement grave qui, pour être bien faite, exige d’énormes connaissances, » Zola a dit. « Il faut avoir l’usage de la vie, savoir où l’on va, connaître – au moins par ses œuvres – l’homme chez qui l’on se rend, approfondir la question qu’on doit lui soumettre, savoir écouter, prendre tout ce que l’on vous dit, mais dans le sens où on le dit, interpréter avec sagacité et ne pas se contenter de reproduire textuellement. […] Non, l’interviewer ne doit pas être un vulgaire perroquet, il lui faut tout rétablir, le milieu, les circonstances, la physionomie de son interlocuteur, enfin faire œuvre d’homme de talent, tout en respectant la pensée d’autrui. 

Il a admis les soucis de Millaud, qui a dit en 1886 que la presse « appartient non pas au plus instruit, au plus savant, au plus spirituel, mais au mieux informé ou au plus audacieux. » Zola dit que, « l’interview est une chose très compliquée, extrêmement délicate, pas facile du tout. […] Les journaux devraient donc confier les interviews à des têtes de ligne, à des écrivains de premier ordre, des romanciers extrêmement habiles, qui, eux, sauraient tout remettre au point. Mais voilà : les hommes de grand talent sont employés à autre chose… Heureusement pour eux ! » Après tout, si les meilleurs talents ne font pas les interviews, « l’interview, telle qu’elle est pratiquée par ce temps de journalisme à la vapeur, [va être] bâclée en vingt minutes, rédigée à la va comme-je-te-pousse, écrite au galop sur une table de café, à côté d’un vermout ou d’une absinthe, si elle est le plus souvent un fleuve d’erreurs. » Et il a admis que les lecteurs ne se sentent pas concernés — l’interview « n’en reste pas moins l’un des principaux éléments du journalisme contemporain : d’abord parce qu’elle en est la partie la plus vivante, ensuite parce qu’elle est le joujou préféré du public ! » 

Qu’est-ce qui définit une bonne interview ? Avant tout, « c’est l’interviewer, » Eugène Dubief, le rédacteur en chef du Journal de Versailles à l’époque et écrivain d’un manuel du journalisme lui-même, a dit. « Il est entré en coup de vent; il parle comme un sifflet de locomotive, par mots hachés, haletants. Habillé à la dernière mode, il s’agite, il fait sonner son importance. C’est lui qui va chez tous les personnages en vue, grands ou petits: tel que vous le voyez, il sort de chez le Ministre, à moins qu’il ne sorte de chez la diva ou de chez l’assassin du jour. »

Quels personnages publics ont fait un interview pendant le dix-huitième siècle ? À part Zola, on peut trouver des conversations entre la presse et Jules Verne, qui était un romancier français qui a écrit Les Voyages extraordinaires, qui était une collection de romans et de nouvelles y compris Vingt Mille Lieues sous les mers, Voyage au centre de la Terre, et Le Tour du monde en quatre-vingts jours. Dans cette interview, l’interviewer était le rédacteur de Le Figaro, qui a eu une conversation en toute simplicité avec Verne pour discuter bien plus que ses livres. Le passage suivant est une partie de cette interview:

« Ce qui distingue surtout le caractère de Verne, c’est une philosophie gaie et patiente […]. Merveilleusement doué et d’une érudition encyclopédique, il est servi, dans ses travaux, par une mémoire prodigieuse.

Un jour qu’il déjeunait avec nous chez un Italien, la conversation tomba sur Rome. L’amphytrion – son voisin de droite – qui était né et logeait près du Capitole, venait d’admirer la facilité d’élocution et le langage pittoresque de son commensal qui lui avait décrit par le menu tous les monuments et jusqu’aux moindres ruines de la Ville Eternelle, quand Verne lui demanda des nouvelles d’un vieux mendiant habituellement posté au coin de la Voie Sacrée, en face de la boutique d’un pâtissier.

– Il y est toujours.

– Et le portier du Vatican a-t-il toujours sa jolie fille?

– Oui.

– A-t-on remis des marches aux escaliers du Forum ?

– Le roi l’a ordonné, mais ce n’est pas encore fait… Ah ça! monsieur, vous connaissez Rome mieux que moi, qui suis Romain. Vous l’habitez donc depuis de longues années ?

– Moi ? je n’y ai jamais mis les pieds… mais j’ai lu et je lis tous les ouvrages consacrés à votre cité natale.

Nous qui savions qu’il était sincère, nous n’en revenions pas ! »

Cette conversation représente comment l’interviewer doit faire plus que répéter ce que la personne qui était interviewé a dit. L’interviewer doit rassembler des histoires différentes pour faire un dessin de la personne que les lecteurs peuvent apprendre à connaître. Ici, ce dessin montre que Verne est un lecteur vorace qui aime lire au sujet des affaires mondiales, et peut-être cet intérêt influence ce qu’il écrit au sujet de voyager.

L’interview m’intéresse en particulier parce que j’avais être une journaliste pour un journal locale, The Daily Hampshire Gazette, tout au long de mes années à l’université, et j’aime interviewer des professeurs, des politiciens, des musiciens, et aussi mes amis et membres de famille pour mes histoires — professionnelles et personnelles. C’est pas facile d’avoir une conversation avec certaines personnes, et c’est le but d’un interviewer de trouver des thèmes intéressants dans ces conversations pour partager avec les lecteurs du journal. 

Sur une page dans La France le 14 novembre 1890, il y a une variété de rédacteurs et rédactrices qui expliquent leurs vues sur l’interview, et la citation suivante résume tous mes opinions sur ce type du journalisme que j’ai commencé au début de la lycée, et que lequel je continue aujourd’hui. 

« Si le reporter se trouve en présence d’un homme célèbre, si le sujet de l’interview est intéressant, si l’interviewé refuse de s’expliquer complètement, une véritable bataille s’engage, bataille de phrases nuancées, de sous-entendus et d’allusions.

Dans ces batailles, ce n’est pas toujours l’interviewé qui a le dessus, tant sont exacerbées les deux qualités du reporter : la ruse et l’opiniâtreté. » 

Les sceptiques sur cette page expriment leurs soucis si l’interviewer a une raison cachée.

 « Vous me demandez ce que je pense des interviews? Tout d’abord, qu’ils ont le tort d’être désignés d’un mot anglais, dont j’estropie régulièrement l’orthographe. Pourquoi ne dirions-nous pas, en français, des « entrevues »? M. Henry Fouquier écrit. « Quant à ces conversations, elles ont en soi un grand intérêt, à condition que celui qui les note et les reproduit soit très intelligent et très impartial et que l’interview ne soit ni une satisfaction offerte à la vanité ni un piège tendu à la bonne foi de qui en est l’objet. C’est cet inconvénient qui me les a fait blâmer quelquefois, redouter toujours.  »

Il y a plus de lettres favorables que sceptiques (11-4), et les supporters de l’interview disent que souvent, les personnes interviewées sont mécontentes après leurs interviews. 

M. J J Weiss décrit cette expérience. « La transformation de la chose parlée en chose écrite fait tout le désaccord entre eux. J’ai parlé trois fois en qualité de commissaire du gouvernement à la tribune du Corps législatif, sous l’Empire. J’avais conscience que ce que je disais était un pur barbouillage. Le lendemain je lisais «la séance», dans le compte rendu analytique du Journal officiel; je lisais un chef-d’œuvre de bon langage que m’avait attribué la cohorte si distinguée des secrétaires au Corps législatif. Je ne me plaignais pas, naturellement, de leur inexactitude. Le fait est qu’ils m’avaient proprement rhabillé, mais qu’ils n’avaient pu le faire sans me défigurer. Neuf fois sur dix, voilà le reportage. » 

L’interview n’est pas facile. Il y a beaucoup de problèmes éthiques que ces lettres décrivent. Mais pour moi, c’est la façon en laquelle des rédacteurs et des rédactrices peuvent communiquer avec des personnes dont l’humanité est quelque chose que la publique ne voit pas souvent. Cette opportunité est extraordinaire, et c’est pourquoi j’adore le journalisme et le reportage.