Sainte-Beuve et la littérature industrielle

La fondation de La Presse par Girardin et du Siècle par Dutacq révolutionnent la presse en 1836. Ils s’appuient sur la publicité pour faire baisser de moitié le prix de l’abonnement. Pour attirer des annonceurs, ils doivent réussir à augmenter de façon conséquente le nombre d’abonnés. C’est le rôle assigné au roman-feuilleton qui doit permettre d’élargir et de fidéliser un nouveau lectorat et trouve sa place au rez-de-chaussée du journal, délimité par un trait noir et dévolu à la matière non politique. Les grands quotidiens se battent pour attirer des écrivains célèbres (Balzac, Hugo, Sand) : Eugène Sue se voit offrir 100 000 francs pour publier Le Juif errant dans le Constitutionnel en 1844-1845 (25 juin 1844) et fait gagner plus de 20 000 abonnements au journal. Le triomphe du roman-feuilleton va de pair avec le développement de la presse moderne.

Sainte-Beuve dénonce le roman-feuilleton comme une « littérature industrielle », devenue une marchandise standardisée, de faible qualité, faite pour plaire au plus grand nombre. Derrière ces arguments se dessine une conception de la littérature élitiste, hostile au roman-feuilleton et à son ouverture à un public plus large (plus jeune, plus féminin, plus populaire). « Au lieu de s’adresser à l’élite des intelligences, on s’adressa plus qu’aux instincts de la foule, non pour les corriger mais pour les satisfaire ; la littérature fut mise à la portée des épiciers ».

Julian Ebersold, La parution des « Mystères de Paris » en 1842, RetroNews

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