Mes Deux Sous sur le Reportage

9 mai 1886

Inès Moreau

Dans le monde surpeuplé du journalisme parisien, deux personnages, Albert Millaud et Pierre Giffard, se disputent l’état de notre presse. Millaud voit dans le journalisme un poison qui infecte le cœur de notre presse. Il prévient : « Le journalisme a tué la littérature et le reportage est en train de tuer le journalisme. Rien ne tuera le reportage ; il mourra de lui-même. C’est le dernier mot de la décadence littéraire d’une époque ; c’est l’homme de lettres remplacé par le concierge » (Millaud, 1886). Pour lui, le journalisme et le reportage a dégradé non seulement notre profession, mais aussi l’art sacré de la littérature.

Je déplore également le déclin des reportages intelligents et nuancés qui caractérisait autrefois le journalisme français. Mais au contraire de Millaud, je pense que ce déclin ne signifie pas la fin ; il nécessite plutôt une réinvention, une purification de l’objectif. Le journalisme de reportage n’est pas un ennemi qu’il faut vaincre, mais un art qu’il faut se réapproprier. Mon travail, soigneusement recherché et profondément documenté, est souvent rejeté au profit de nouvelles sensationnelles qui promettent des histoires frivoles plutôt que d’éclairer. Combien de fois mes articles réfléchis, nés de mois de recherche, ont-ils été abandonnés au profit d’histoires insignifiantes de scandales ou de jeux politiques ? Je vois une alternative, qui me rapproche de la vision de Giffard d’un journalisme qui élève notre domaine au lieu de le dévaloriser.

Giffard, au contraire de Millaud, embrasse le reportage, envisageant un avenir où les reporters ne sont pas de simples ragots, mais des chroniqueurs éclairés de l’époque. Il affirme : « Millaud croit que le reportage ira toujours en abaissant le niveau du journalisme. Et moi je crois qu’il l’élèvera, par le recrutement d’un personnel de plus en plus instruit. Le journaliste de l’avenir sera comme ces mécaniciens des métiers nouveaux, qui font à eux seuls la besogne de plusieurs tisseurs du vieux système » (Giffard, 1886). L’idéal de Giffard d’un journaliste intellectuel, capable d’enrichir le discours public, correspond profondément à mes aspirations. Je souhaite être l’une de ces journalistes qu’il décrit, un journaliste capable de donner de l’importance à n’importe quelle histoire, transformant même le banal en quelque chose qui mérite d’être contemplé.

Cependant, je vois aussi la nécessité de s’adapter. Le journalisme ne peut prospérer s’il s’aliène le public qu’il cherche à servir. Il est essentiel, en tant que femme éduquée dans ce domaine, de composer mes articles de manière à la fois intelligente et accessible. Mes lecteurs, en particulier ceux qui appartiennent aux cercles dynamiques et judicieux de Paris, s’attendent à un certain niveau de raffinement dans ma prose, mais ils recherchent également des histoires qui reflètent leurs expériences concrètes. À cet effet, Millaud a raison : la profession se compose de nombreux hommes qui, lorsqu’ils arrivent dans les hautes sphères de la société parisienne, abandonnent leur devoir d’information pour se plonger dans des activités triviales. Ils abandonnent la substance pour le spectacle, choisissant d’amuser plutôt que d’éduquer. Cette pourriture au sommet doit être éliminée si nous voulons restaurer l’honneur du journalisme.

À cet égard, le reportage intelligent a besoin d’une révolution, non pas pour être mis de côté comme le suggère Millaud, mais pour être réformé, restructuré et enrichi d’intégrité. Nous devons nous concentrer sur les histoires qui comptent, celles qui remettent en question le status quo, plutôt que sur celles qui se content de titiller les masses. Trop souvent, l’essentiel est rejeté comme ne méritant pas d’être publié. Nous devons nous interroger: « Quel est le but de notre journalisme ? »

Entrons donc dans cette époque de réforme avec un effort renouvelé en faveur de la qualité et de l’intégrité. Prenons en compte les avertissements de Millaud sur les dangers de la décadence, mais aussi la foi de Giffard dans le potentiel du journalisme à éduquer et à élever. Nous devons résister à l’attrait des titres faciles et, au contraire, élaborer des récits qui s’adressent à l’intellect et à au cœur de nos lecteurs. Il faut libérer le journalisme des griffes de la médiocrité et rappeler au public sa valeur. C’est seulement de cette façon que nous pourrons honorer l’esprit du journalisme et protéger l’intégrité de la littérature. 

Inès Moreau

Atelier IV

Le texte discute le débat autour du journalisme de reportage, en particulier entre Albert Millaud et Pierre Giffard. Millaud critique le reportage, affirmant qu’il fait du mal à la presse, tandis que Giffard le défend, arguant que les reporters font souvent des efforts et du courage intellectuel en train de couvrir des sujets directement sur le terrain. Cependant, Millaud et Giffard sont tous deux considérés comme des journalistes. L’auteur est d’accord avec Millaud sur les aspects négatifs des interviews, qu’il considère comme une imitation superficielle des pratiques américaines et qui n’apporte que de valeur. L’auteur croit que les interviews sont banales et pense que même la politesse manifestée entre des personnes interrogées rend le processus insignifiant.

L’auteur est critique à l’égard des interviews, qu’il considère comme une forme médiocre de journalisme qu’offre peu de contenu significatif au public. L’auteur ne prend pas explicitement position sur le reportage en général, bien que l’accent mis sur sa catégorisation et sa critique suggère une certaine ambivalence.

Le Silence des Voix

4 Octobre 1873 -
Inès Moreau 

En traversant les rues de Paris, les grands boulevards si méticuleusement façonnés par le baron Haussmann et l’industrie vigoureuse qui fait avancer cette ville, je ne peux m’empêcher de réfléchir aux mains qui alimentent cette croissance rapide. Notre ville si chère brille de la lumière du progrès, mais cette lumière jette une ombre profonde sur des nombreuses victimes oubliées – les immigrés, les femmes et les enfants qui travaillent sans repos dans nos usines.

La classe ouvrière, en particulier les femmes que je rencontre, se trouve au cœur de cette structure, mais reste invisible aux yeux de ceux qui profitent de leur travail. C’est pour eux que j’écris, pour leurs voix que je dédie cette rubrique. Des rues animées de Belleville aux usines mal éclairées de Saint-Denis, j’ai rassemblé les histoires de ces personnes, leurs luttes, leurs espoirs et leur endurance silencieuse.

Prenons l’exemple des jeunes filles que j’ai rencontrées dans une usine textile de Saint-Denis. Ici, l’air est chargé de l’odeur des machines, le bourdonnement constant des métiers à tisser étouffe même le son de la pensée. Ces filles, dont certaines n’ont pas plus de douze ans, sont à la base de la production. Elles se lèvent avant l’aube, les mains fatiguées par le travail sur les bobines de fil qui tissent le tissu même de la mode parisienne. Pourtant, elles ne se plaignent pas – elles ne peuvent pas se le permettre.

La transformation de Paris sous Haussmann a laissé de nombreux coins de la ville négligés, oubliés par les architects du progrès. Alors que les grandes avenues affichent leurs triomphes, les ruelles étroites où vivent ces ouvriers restent surpeuplées et insalubres. Ce contraste saisissant entre la vie des privilégiés et celle de la classe ouvrière reflète les véritables priorités de notre société.

Le bien-être de ces factions est souvent considéré comme sans importance par l’élite, qui ne voit dans la classe ouvrière qu’un moyen de parvenir à ses fins. Combien de nos bourgeoises, parées des plus belles soieries, savent-elles que les vêtements qu’elles portent ont été touchés par les mains fatiguées des jeunes ? Ne comprennent-elles pas que derrière chaque dentelle délicate et chaque ruban de satin se cache l’histoire d’une souffrance ?

Bien que ces immigrés, ces femmes et ces enfants n’aient pas le droit de voter, ils font partie de la France au même titre que les hommes politiques qui dictent leur destin. Il appartient aux citoyens votants de ce pays de parler au nom de ceux qui ne le peuvent pas. Alors que la population d’immigrés continue de se multiplier dans notre capitale, nous devons reconnaître que leurs destins sont liés aux nôtres.

Au cours de mes voyages, j’ai rencontré des femmes immigrées de toute l’Europe et des colonies françaises, attirées à Paris par la promesse d’un travail, mais qui se retrouvent prisonnières du même cycle de pauvreté que celui qui lie tant de travailleurs français. Leurs histoires méritent également d’être racontées. Il est temps que nous reconnaissons que la croissance de notre industrie s’est faite sur leur dos et qu’en l’absence d’une réglementation du travail appropriée, nous sommes tous complices de leur exploitation.

L’histoire de ces personnes me rappelle mon propre héritage, celui de la famille Moreau qui a traversé la tempête des révolutions et des empires. Mes ancêtres connaissaient trop bien la douleur des bouleversements politiques, mais ils croyaient en la promesse du changement. Aujourd’hui, nous devons mobiliser ce même esprit de révolution, l’esprit de la troisième république, mais cette fois-ci pour les travailleurs oubliés qui sont essentiels à notre prospérité.

J’invite les lecteurs de cette chronique, en particulier ceux qui ont le privilège de voter, à réfléchir profondément aux conditions de travail de ceux qui travaillent dans nos usines. Nous ne pouvons pas permettre que leurs vies restent invisibles. Chaque article qu’ils fabriquent, chaque produit qu’ils assemblent, contribue à la croissance de l’industrie française. Sans eux, notre ville ne serait plus ce qu’elle est aujourd’hui.

Le temps de l’action est venu. Exigeons de meilleures conditions de travail, des horaires plus courts et surtout le respect des ouvriers. Il ne suffit pas d’admirer la beauté de Paris sans tenir compte du prix qu’elle a coûté. Ce n’est qu’en mettant en lumière ces parties oubliées de notre ville que nous pourrons vraiment nous considérer comme une société de progrès.

Inès Moreau, écrire pour ceux qui ne le peuvent pas.

Inès Moreau

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Je m’appelle Inès Moreau et je suis une jeune chroniqueuse. Je cherche à présenter les perspectives de la classe ouvrière dans mes écrits. Je voyage à travers la France, racontant des histoires de femmes et d’enfants qui travaillent dans l’industrie, dans l’espoir de mettre en lumière les mauvaises conditions de travail dans les usines et de contribuer à un changement politique. Mes écrits s’impliquent les classes moyennes et l’élite, car mon sujet est le peuple et non la politique. À la fin du XIXe siècle, mes chroniques sont révolutionnaires par l’inclusion de photos vernaculaires dans un journal.