L’Affaire Dreyfus

Carte postale imprimée en noir et blanc avec portraits de Dreyfus, Zola, Esterhazy
Carte postale, Dreyfus-Zola-Esterhazy (Bibliothèque historique de la Ville de Paris)

Images de l’Affaire (Google Drive)


L’Armée et la République – quelques dates

  • 1852 – l’Armée soutient le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III) et réprime les manifestations
  • 1870 – défaite dans la guerre franco-prussienne, perte de l’Alsace et de la Moselle
  • 1871 – l’Armée réprime la Commune ; la république radicale et sociale vs. la république conservatrice ou modérée
  • 1870-1877 – les conservateurs, les monarchistes, les catholiques dominent le gouvernement de la République
  • 1877 – peur d’un coup d’état militaire et monarchiste après une élection où finalement de vrais républicains gagnent ; les républicains prennent le pouvoir
  • 1879-1882 – les premières lois sur la laïcité ; éducation gratuite, obligatoire, et laïque
  • 1889 – menace de coup d’état par le Général Boulanger, soutenu par les milieux conservateurs et catholiques
  • 1891 – des soldats fusillent des grévistes à Fourmies ; l’Armée sert souvent à réprimer des mouvements ouvriers pendant ces décennies
  • 1894 – premier procès de Dreyfus

La société française pendant l’Affaire

[…] Jews, Protestants and Catholics alike all evoked the religious struggles of the Ancien Régime to strengthen their resolve. Religious ideas found their way into literary debate, the occult and spiritualism impinged on nationalism, and both sides borrowed across the science/religion divide. Indeed, rather than marking the final triumph of secularism, the Affair demonstrates the integral role of religion in the conflicts of ‘modernity’. […]

If the Dreyfus Affair started as the business of an elite, it became the obsession of many. A variety of sources illuminate the connections between individual and group psychology: newspaper polemics, memoirs, postcards, posters, printed volumes and tens of thousands of letters written during and after the Affair. […]

[During the latter half of the Affair] doubts about the authenticity of the bordereau mushroomed into a struggle in which questions of literature, morality, education, psychology, sociology and science all became deeply politicized.

Ruth Harris, Dreyfus: Politics, Emotion, and the Scandal of the Century (2010), pp. 10, 11, 12

L’Affaire et les foules

Quand aux publics de haine, nous les connaissons aussi, et le mal qu’ils font ou qu’ils font faire est bien supérieur aux ravages exercés par les foules furieuses. Le public est une foule beaucoup moins aveugle et beaucoup plus durable, dont la rage plus perspicace s’amasse et se soutient pendant des mois et des années. […] Car il y a assurément des publics criminels, féroces, altérés de sang, comme il y a des foules criminelles […] (pp. 48-49)

Les foules ne sont pas seulement crédules, elles sont folles. (p. 55)

Le plus souvent, quand une foule commet des crimes […] il y a derrière elle un public qui la meut. […] C’est presque toujours de complicité avec un public scélérat, dès l’époque où le public commençait à naître, que les plus grands crimes historiques ont été commis […] Règle générale, ou à peu près: derrière les foules criminelles il y a des publics plus criminels encore, et, à la tête de ceux-ci, des publicistes [=journalistes] qui le sont encore plus. (pp. 57-58)

Tarde, «Le public et la foule», L’opinion et la foule (1898)

Ressources générales, explications historiques

Images dans la presse

Les écrivains-intellectuels et l’Affaire

Les Dreyfusards

Zola, « M. Scheurer-Kestner », article publié dans le Figaro, 25 novembre 1897 (article qui lance sa participation à l’affaire) [cliquez pour ouvrir la citation]:

Quel drame poignant, et quels personnages superbes ! Devant ces documents, d’une beauté si tragique, que la vie nous apporte, mon cœur de romancier bondit d’une admiration passionnée. Je ne connais rien d’une psychologie plus haute.

Mon intention n’est pas de parler de l’affaire. Si des circonstances m’ont permis de l’étudier et de me faire une opinion formelle, je n’oublie pas qu’une enquête est ouverte, que la justice est saisie et que la simple honnêteté est d’attendre, sans ajouter à l’amas d’abominables commérages dont on obstrue une affaire si claire et si simple.

[…]

M. Scheurer-Kestner est là, avec sa vie de cristal. Placez donc en face de lui les autres, ceux qui l’accusent et l’insultent. Et jugez. Il faut choisir entre ceux-ci et celui-là. Trouvez donc la raison qui le ferait agir, en dehors de son besoin si noble de vérité et de justice. Abreuvé d’injures, l’âme déchirée, sentant trembler sous lui sa haute situation, prêt à tout sacrifier pour mener à bien son héroïque tâche, il se tait, il attend. Et cela est d’une extraordinaire grandeur.

Je l’ai dit, l’affaire en elle-même, je ne veux pas m’en occuper. Pourtant, il faut que je le répète : elle est la plus simple, la plus claire du monde, quand on veut bien la prendre pour ce qu’elle est.

Une erreur judiciaire, la chose est d’une éventualité déplorable, mais toujours possible. Des magistrats se trompent, des militaires peuvent se tromper. En quoi l’honneur de l’armée est-il engagé là dedans ? L’unique beau rôle, s’il y a eu une erreur commise, est de la réparer ; et la faute ne commencerait que le jour où l’on s’entêterait à ne pas vouloir s’être trompé, même devant des preuves décisives. Au fond, il n’y a pas d’autre difficulté. Tout ira bien, lorsqu’on sera décidé à reconnaître qu’on a pu commettre une erreur et qu’on a hésité ensuite devant l’ennui d’en convenir. Ceux qui savent me comprendront.

Zola dans la « Lettre à la jeunesse », brochure publiée le 14 décembre 1897 [cliquez pour ouvrir la citation] :

Il n’est pas d’histoire plus simple. Un officier a été condamné, et personne ne songe à suspecter la bonne foi des juges. Ils l’ont frappé selon leur conscience, sur des preuves qu’ils ont cru certaines. Puis, un jour, il arrive qu’un homme, que plusieurs hommes ont des doutes, finissent par être convaincus qu’une des preuves, la plus importante, la seule du moins sur laquelle les juges se sont publiquement appuyés, a été faussement attribuée au condamné, que cette pièce est à n’en pas douter de la main d’un autre. Et ils le disent, et cet autre est dénoncé par le frère du prisonnier, dont le strict devoir était de le faire ; et voilà, forcément, qu’un nouveau procès commence, devant amener la révision du premier procès, s’il y a condamnation. Est-ce que tout cela n’est pas parfaitement clair, juste et raisonnable ? Où y a-t-il, là-dedans, une machination, un noir complot pour sauver un traître ? Le traître, on ne le nie pas, on veut seulement que ce soit un coupable et non un innocent qui expie le crime. Vous l’aurez toujours, votre traître, et il ne s’agit que de vous en donner un authentique.

Un peu de bon sens ne devrait-il pas suffire ? À quel mobile obéiraient donc les hommes qui poursuivent la revision du procès Dreyfus ? Écartez l’imbécile antisémitisme, dont la monomanie féroce voit là un complot juif, l’or juif s’efforçant de remplacer un juif par un chrétien, dans la geôle infâme. Cela ne tient pas debout, les invraisemblances et les impossibilités croulent les unes sur les autres, tout l’or de la terre n’achèterait pas certaines consciences. Et il faut bien en arriver à la réalité, qui est l’expansion naturelle, lente, invincible de toute erreur judiciaire. L’histoire est là. Une erreur judiciaire est une force en marche : des hommes de conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus en plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu’à ce que justice soit faite. Et il n’y a pas d’autre explication possible à ce qui se passe aujourd’hui, le reste n’est qu’abominables passions politiques et religieuses, que torrent débordé de calomnies et d’injures.

Les Anti-Dreyfusards

Reproductions des textes manuscrits relatifs à l’Affaire

La Commune de Paris

Un jeune homme habillé en bleu et en rouge brandissant un drapeau rouge surmonte une barricade, en bas de laquelle des cadavres gisent. Paris brûle au fond.
Affiche pour une peinture panoramique de la Commune de 1871, en 1883

Histoire et contexte

Le 26 janvier 1871, l’armistice franco-allemand est conclue dans la douleur et l’humiliation. Le peuple parisien qui a lutté durant quatre mois contre les soldats prussiens pendant le siège de Paris se sent trahi. Les Prussiens défilent dans la capitale le 1er mars et le peuple gronde.

Le gouvernement d’Adolphe Thiers composé de monarchistes et de conservateurs décide de siéger à Versailles. Il prend des mesures économiques qui ancre plus encore le peuple dans la pauvreté. La situation est explosive.

Le 18 mars 1871, Adolphe Thiers, chef du gouvernement, envoie l’armée récupérer les canons de Paris entreposés sur la butte Montmartre. Ces canons avaient été payés par les Parisiens avec des souscriptions pour défendre Paris contre les Prussiens et ils vivent très mal cette décision.

Les Parisiens font barrage et les soldats refusent de tirer sur la foule. Les barricades sont érigées dans la ville et Thiers s’enfuit à Versailles.

Les Parisiens organisent alors des élections. La Commune est proclamée le 26 mars place de l’Hôtel de Ville et est composée d’ouvriers, d’artisans, d’employés, de journaliers… Ils sont républicains, socialistes, anarchistes.

Le 21 mai 1871, les troupes versaillaises conduites par les généraux Mac Mahon et Galliffet entrent dans la ville pour la reprendre aux insurgés (appelés aussi fédérés) . C’est le début de la « Semaine sanglante » qui s’achève le 28 mai 1871 et compte plus de 20 000 victimes et près de 38 000 arrestations.

La Commune de Paris, Histoire par l’image

La guerre et le siège de Paris

Un ours et un lion font la queue devant une boucherie; une dame regarde l'ours, étonnée
Caricature de Cham pendant le siège de Paris (1870-71) : «Les animaux du Jardin des plantes faisant queue comme tout le monde pour avoir leur viande» (Gallica-BnF)

Guerre, siège, Commune – caricatures (Universität Heidelberg)

Soldats et officiers allemands défilent à Paris, on voit l'Arc de Triomphe
Le défilé des Allemands à Paris en 1871 (Paris Musées)

Ressources pour l’histoire de la Commune

La presse et la Commune

L’interdiction des journaux de gauche une semaine avant l’éclatement de la Commune :

Les policiers prennent et détruisent des journaux alors que d'autres personnes essaient de les garder
1871. Lix – Scène du boulevard à l’occasion des journaux supprimés (Paris Musées)

La presse à Paris pendant la Commune :

Partons de la Bastille. Les camelots assourdissants crient le Mot d’ordre ! de Rochefort, le Père Duchesne ! le Cri du Peuple ! de Jules Vallès ; le Vengeur ! de Félix Pyat ; la Commune ! le Tribun du peuple ! l’Affranchi ! l’Avant-Garde ! le Pilori des mouchards ! L’Officiel est peu demandé, les membres de la Commune l’étouffent sous leur concurrence ; l’un d’eux, Vésinier, va jusqu’à publier dans Paris-libre une séance secrète. Le Cri du Peuple tire à cent mille exemplaires. C’est le premier levé ; il chante avec le coq. Si nous avons du Vallès ce matin, bonne aubaine ; mais il passe trop souvent la parole à Pierre Denis qui nous autonomise à outrance. N’achetez qu’une fois le Père Duchesne, quoiqu’il tire à 60 000. Il n’a rien de celui d’Hébert, qui ne fut pas un grand sire. Prenez dans le Vengeur l’article de Félix Pyat comme un bel échantillon d’ivrognerie littéraire. La Commune est le journal doctrinaire où Millière écrit quelquefois, où Georges Duchène secoue les jeunes et les vieux de l’Hôtel-de-Ville avec une sévérité qui exigerait un autre caractère.

Aux kiosques voici les caricatures : Thiers, Picard, Jules Favre sous la figure des trois Grâces enlaçant leur ventripotence. Ce poisson aux écailles vert bleu qui dessert un lit à couronne impériale, c’est le marquis de Galliffet. L’Avenir, moniteur de la Ligue, le Siècle devenu très hostile depuis l’arrestation de Chaudey, la Vérité du yankee Portalis s’empilent, mélancoliques et intacts. Une trentaine de journaux versaillais ont été supprimés par la préfecture de police ; ils n’en sont pas morts, un camelot très peu mystérieux nous les offre.

Prosper Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871 (1876)

Images de la Commune et de la semaine sanglante

Des corps d'hommes et d'une femme gisent au sol dans une rue parisienne.

Maximilien Luce, Une rue de Paris en mai 1871. Peinture de 1903-1905. Musée d’Orsay.

Dans ce volume, notez en particulier, pour la propagande anti-Commune : les folios 105, 107, 109, 111, 114, 121 (Père Duchène), 122 (le journal)…

Une femme de la classe populaire, les mains liées, est visée par un soldat, arme à la main

“Sie roch nach Petroleum” (Elle sentait le pétrole), Die Gartenlaube, août 1871. Voir DeNino, “She Smelled of Petroleum: The Paris Commune in a German Family Magazine,” Nineteenth-Century French Studies vol. 49 nos. 3 &4, Spring-Summer 2021.

La liberté de la presse, la foule, et les révolutions

Lectures populaires – cabinets de lecture

La liberté de la presse sous menace

Images et théories de la foule

La foule dans Bel-Ami

Première partie, ch. I

Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s’arrêta encore, indécis sur ce qu’il allait faire. […] Il tourna vers la Madeleine est suivit le flot de foule qui coulait accablé par la chaleur. […] La foule glissait autour de lui, exténuée et lente, et il pensait toujours: «Tas de brutes ; tous ces imbéciles-là ont des sous dans leur gilet.» Il bousculait les gens de l’épaule, et sifflotait des airs joyeux.

pp. 46-48

Seconde partie, ch. X

Du Roy l’écoutait [l’évêque], ivre d’orgueil. Un prélat de l’Église romaine lui parlait ainsi, à lui. Et il sentait derrière son dos, une foule, une foule illustre venue pour lui. Il lui semblait qu’une force le poussait, le soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre […] Lorsqu’il parvint sur le seuil [de la Madeleine], il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.

p. 369, p. 371

Images


Artistes et sociologues

Vallotton, Taine, Tarde, Le Bon

Vallotton’s pictorial approach to the crowd was forged amid an explosion of historical, sociological, and philosophical interest in the subject. From 1876 to 1894 Hippolyte Taine published a six-volume account of French history since the 1789 Revolution. Les Origines de la France contemporaine is laced with hostility toward—and sensational descriptions of—the unruly crowds that propelled this period of radical change. Taine describes the crowd as “un animal primitif,” a thoughtless force of destructive anarchy (vol. 3 [1878], 70).1 Drawing on Taine, sociologists Gabriel Tarde and Gustave Le Bon (among others) made crowd psychology a new branch of scientific inquiry. Tarde, an original philosophical thinker, saw the crowd as an aggregate of imitative individuals, each of whom bears the potential for sympathy and innovation as well as conformity and irrational violence. Le Bon, who popularized Tarde’s ideas, doubled down on the negative view. His notorious best-seller, La Psychologie des foules (1895), describes the crowd as dumb and dangerous yet manipulable by a charismatic leader, especially if that leader wields power in the form of images. Rational individuals transform through collective contagion, mutually intoxicated by “l’impulsivité, l’irritabilité, l’incapacité de raisonner, l’absence de jugement et d’esprit critique, l’exagération des sentiments” (24).

Vallotton’s vision of the crowd could be called Tardian in its contradictions, but with a leftist bent. His ambivalent figures frequently look out as if to hook our attention, soliciting the viewer’s identification with their dilemma. In La Charge we are addressed by the passive policeman and the young dissident, who stares straight ahead with one policeman grabbing his neck and another about to strike his head with a fist. Whose side are you on, Vallotton seems to ask, and what will you do from where you stand? Other prints by the artist from the early to mid 1890s—depicting suicide, capital punishment, political protest, and public brawls—similarly place the viewer in uncomfortable positions of political fence-sitting and ethical doubt.2

Bridget Alsdorf, “Vallotton, Fénéon, and the Legacy of the Commune in Fin-de-siècle France,” Nineteenth-Century French Studies 49, nos. 3 & 4, Spring–Summer 2021, pp. 272-273

L’Affaire Dreyfus et les théories de Gabriel Tarde

Les répercussions de l’Affaire sur l’opinion publique peuvent historiquement s’expliquer par plusieurs phénomènes. Tout d’abord celui de la presse sur laquelle s’appuie l’opinion publique, jour après jour elle rend compte du développement de l’Affaire et diffuse ses propres mythes. Tout en elle joue sur le registre passionnel. Mais elle est aussi l’intermédiaire par lequel l’événement lui-même passe. Ensuite, les principales figures de l’Affaire sont des écrivains, des « intellectuels » : la nouvelle figure de l’intellectuel engagé crée l’événement, elle engendre le combat par la polémique, elle s’oppose aux institutions et au pouvoir au moyen de l’écriture. Une nouvelle société émerge. L’Affaire représente alors une évolution dans l’histoire de la démocratie : elle déplace l’instance de décision de l’ombre des ministères à la place publique ; elle consacre le triomphe des puissances d’opinion (assemblées, presse, instances locales) sur les puissances traditionnelles (notables, armée, justice).

Louise Salmon, « Gabriel Tarde et l’Affaire Dreyfus », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. II | 2005

  1. The classic Jacobin critique of Taine’s account of revolutionary crowds is Georges Lefebvre, “Foules révolutionnaires,” Annales historiques de la Révolution fr ançaise, no. 61, Jan.- Feb. 1934, pp. 1-26 ↩︎
  2. Cf. Le Suicide, 1894, woodcut; L’Exécution, 1894, woodcut; La Manifestation, 1893, woodcut; Au Violon, 1893, zincograph; La Rixe, 1892, woodcut. ↩︎