[…] Jews, Protestants and Catholics alike all evoked the religious struggles of the Ancien Régime to strengthen their resolve. Religious ideas found their way into literary debate, the occult and spiritualism impinged on nationalism, and both sides borrowed across the science/religion divide. Indeed, rather than marking the final triumph of secularism, the Affair demonstrates the integral role of religion in the conflicts of ‘modernity’. […]
If the Dreyfus Affair started as the business of an elite, it became the obsession of many. A variety of sources illuminate the connections between individual and group psychology: newspaper polemics, memoirs, postcards, posters, printed volumes and tens of thousands of letters written during and after the Affair. […]
[During the latter half of the Affair] doubts about the authenticity of the bordereau mushroomed into a struggle in which questions of literature, morality, education, psychology, sociology and science all became deeply politicized.
Ruth Harris, Dreyfus: Politics, Emotion, and the Scandal of the Century (2010), pp. 10, 11, 12
Zola, « M. Scheurer-Kestner », article publié dans le Figaro, 25 november 1897 (article qui lance sa participation à l’affaire) [cliquez pour ouvrir la citation]:
Quel drame poignant, et quels personnages superbes ! Devant ces documents, d’une beauté si tragique, que la vie nous apporte, mon cœur de romancier bondit d’une admiration passionnée. Je ne connais rien d’une psychologie plus haute.
Mon intention n’est pas de parler de l’affaire. Si des circonstances m’ont permis de l’étudier et de me faire une opinion formelle, je n’oublie pas qu’une enquête est ouverte, que la justice est saisie et que la simple honnêteté est d’attendre, sans ajouter à l’amas d’abominables commérages dont on obstrue une affaire si claire et si simple.
[…]
M. Scheurer-Kestner est là, avec sa vie de cristal. Placez donc en face de lui les autres, ceux qui l’accusent et l’insultent. Et jugez. Il faut choisir entre ceux-ci et celui-là. Trouvez donc la raison qui le ferait agir, en dehors de son besoin si noble de vérité et de justice. Abreuvé d’injures, l’âme déchirée, sentant trembler sous lui sa haute situation, prêt à tout sacrifier pour mener à bien son héroïque tâche, il se tait, il attend. Et cela est d’une extraordinaire grandeur.
Je l’ai dit, l’affaire en elle-même, je ne veux pas m’en occuper. Pourtant, il faut que je le répète : elle est la plus simple, la plus claire du monde, quand on veut bien la prendre pour ce qu’elle est.
Une erreur judiciaire, la chose est d’une éventualité déplorable, mais toujours possible. Des magistrats se trompent, des militaires peuvent se tromper. En quoi l’honneur de l’armée est-il engagé là dedans ? L’unique beau rôle, s’il y a eu une erreur commise, est de la réparer ; et la faute ne commencerait que le jour où l’on s’entêterait à ne pas vouloir s’être trompé, même devant des preuves décisives. Au fond, il n’y a pas d’autre difficulté. Tout ira bien, lorsqu’on sera décidé à reconnaître qu’on a pu commettre une erreur et qu’on a hésité ensuite devant l’ennui d’en convenir. Ceux qui savent me comprendront.
Zola dans la « Lettre à la jeunesse », brochure publiée le 14 décembre 1897 [cliquez pour ouvrir la citation] :
Il n’est pas d’histoire plus simple. Un officier a été condamné, et personne ne songe à suspecter la bonne foi des juges. Ils l’ont frappé selon leur conscience, sur des preuves qu’ils ont cru certaines. Puis, un jour, il arrive qu’un homme, que plusieurs hommes ont des doutes, finissent par être convaincus qu’une des preuves, la plus importante, la seule du moins sur laquelle les juges se sont publiquement appuyés, a été faussement attribuée au condamné, que cette pièce est à n’en pas douter de la main d’un autre. Et ils le disent, et cet autre est dénoncé par le frère du prisonnier, dont le strict devoir était de le faire ; et voilà, forcément, qu’un nouveau procès commence, devant amener la révision du premier procès, s’il y a condamnation. Est-ce que tout cela n’est pas parfaitement clair, juste et raisonnable ? Où y a-t-il, là-dedans, une machination, un noir complot pour sauver un traître ? Le traître, on ne le nie pas, on veut seulement que ce soit un coupable et non un innocent qui expie le crime. Vous l’aurez toujours, votre traître, et il ne s’agit que de vous en donner un authentique.
Un peu de bon sens ne devrait-il pas suffire ? À quel mobile obéiraient donc les hommes qui poursuivent la revision du procès Dreyfus ? Écartez l’imbécile antisémitisme, dont la monomanie féroce voit là un complot juif, l’or juif s’efforçant de remplacer un juif par un chrétien, dans la geôle infâme. Cela ne tient pas debout, les invraisemblances et les impossibilités croulent les unes sur les autres, tout l’or de la terre n’achèterait pas certaines consciences. Et il faut bien en arriver à la réalité, qui est l’expansion naturelle, lente, invincible de toute erreur judiciaire. L’histoire est là. Une erreur judiciaire est une force en marche : des hommes de conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus en plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu’à ce que justice soit faite. Et il n’y a pas d’autre explication possible à ce qui se passe aujourd’hui, le reste n’est qu’abominables passions politiques et religieuses, que torrent débordé de calomnies et d’injures.
«Monsieur Sarcey, Vous devez être content, vos amis semblent triompher. La vérité est baillonnée; la justice est prostituée; […] Cependant il y a une chose que vous oubliez, c’est qu’une nation qui commet de tels crimes, en meurt. Il est entendu que vous n’avez pas de conscience; vous avez du moins votre paquet de responsabilités.»
Le 26 janvier 1871, l’armistice franco-allemand est conclue dans la douleur et l’humiliation. Le peuple parisien qui a lutté durant quatre mois contre les soldats prussiens pendant le siège de Paris se sent trahi. Les Prussiens défilent dans la capitale le 1er mars et le peuple gronde.
Le gouvernement d’Adolphe Thiers composé de monarchistes et de conservateurs décide de siéger à Versailles. Il prend des mesures économiques qui ancre plus encore le peuple dans la pauvreté. La situation est explosive.
Le 18 mars 1871, Adolphe Thiers, chef du gouvernement, envoie l’armée récupérer les canons de Paris entreposés sur la butte Montmartre. Ces canons avaient été payés par les Parisiens avec des souscriptions pour défendre Paris contre les Prussiens et ils vivent très mal cette décision.
Les Parisiens font barrage et les soldats refusent de tirer sur la foule. Les barricades sont érigées dans la ville et Thiers s’enfuit à Versailles.
Les Parisiens organisent alors des élections. La Commune est proclamée le 26 mars place de l’Hôtel de Ville et est composée d’ouvriers, d’artisans, d’employés, de journaliers… Ils sont républicains, socialistes, anarchistes.
Le 21 mai 1871, les troupes versaillaises conduites par les généraux Mac Mahon et Galliffet entrent dans la ville pour la reprendre aux insurgés (appelés aussi fédérés) . C’est le début de la « Semaine sanglante » qui s’achève le 28 mai 1871 et compte plus de 20 000 victimes et près de 38 000 arrestations.
L’interdiction des journaux de gauche une semaine avant l’éclatement de la Commune :
[à venir]
La presse à Paris pendant la Commune :
Partons de la Bastille. Les camelots assourdissants crient le Mot d’ordre ! de Rochefort, le Père Duchesne ! le Cri du Peuple ! de Jules Vallès ; le Vengeur ! de Félix Pyat ; la Commune ! le Tribun du peuple ! l’Affranchi ! l’Avant-Garde ! le Pilori des mouchards !L’Officiel est peu demandé, les membres de la Commune l’étouffent sous leur concurrence ; l’un d’eux, Vésinier, va jusqu’à publier dans Paris-libre une séance secrète. Le Cri du Peuple tire à cent mille exemplaires. C’est le premier levé ; il chante avec le coq. Si nous avons du Vallès ce matin, bonne aubaine ; mais il passe trop souvent la parole à Pierre Denis qui nous autonomise à outrance. N’achetez qu’une fois le Père Duchesne, quoiqu’il tire à 60 000. Il n’a rien de celui d’Hébert, qui ne fut pas un grand sire. Prenez dans le Vengeur l’article de Félix Pyat comme un bel échantillon d’ivrognerie littéraire. La Commune est le journal doctrinaire où Millière écrit quelquefois, où Georges Duchène secoue les jeunes et les vieux de l’Hôtel-de-Ville avec une sévérité qui exigerait un autre caractère.
Aux kiosques voici les caricatures : Thiers, Picard, Jules Favre sous la figure des trois Grâces enlaçant leur ventripotence. Ce poisson aux écailles vert bleu qui dessert un lit à couronne impériale, c’est le marquis de Galliffet. L’Avenir, moniteur de la Ligue, le Siècle devenu très hostile depuis l’arrestation de Chaudey, la Vérité du yankee Portalis s’empilent, mélancoliques et intacts. Une trentaine de journaux versaillais ont été supprimés par la préfecture de police ; ils n’en sont pas morts, un camelot très peu mystérieux nous les offre.
Prosper Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871 (1876)
Artistes et sociologues – Vallotton, Taine, Tarde, Le Bon
Vallotton’s pictorial approach to the crowd was forged amid an explosion of historical, sociological, and philosophical interest in the subject. From 1876 to 1894 Hippolyte Taine published a six-volume account of French history since the 1789 Revolution. Les Origines de la France contemporaine is laced with hostility toward—and sensational descriptions of—the unruly crowds that propelled this period of radical change. Taine describes the crowd as “un animal primitif,” a thoughtless force of destructive anarchy (vol. 3 [1878], 70).1 Drawing on Taine, sociologists Gabriel Tarde and Gustave Le Bon (among others) made crowd psychology a new branch of scientific inquiry. Tarde, an original philosophical thinker, saw the crowd as an aggregate of imitative individuals, each of whom bears the potential for sympathy and innovation as well as conformity and irrational violence. Le Bon, who popularized Tarde’s ideas, doubled down on the negative view. His notorious best-seller, La Psychologie des foules (1895), describes the crowd as dumb and dangerous yet manipulable by a charismatic leader, especially if that leader wields power in the form of images. Rational individuals transform through collective contagion, mutually intoxicated by “l’impulsivité, l’irritabilité, l’incapacité de raisonner, l’absence de jugement et d’esprit critique, l’exagération des sentiments” (24).
Vallotton’s vision of the crowd could be called Tardian in its contradictions, but with a leftist bent. His ambivalent figures frequently look out as if to hook our attention, soliciting the viewer’s identification with their dilemma. In La Charge we are addressed by the passive policeman and the young dissident, who stares straight ahead with one policeman grabbing his neck and another about to strike his head with a fist. Whose side are you on, Vallotton seems to ask, and what will you do from where you stand? Other prints by the artist from the early to mid 1890s—depicting suicide, capital punishment, political protest, and public brawls—similarly place the viewer in uncomfortable positions of political fence-sitting and ethical doubt.2
L’Affaire Dreyfus et les théories de Gabriel Tarde
Les répercussions de l’Affaire sur l’opinion publique peuvent historiquement s’expliquer par plusieurs phénomènes. Tout d’abord celui de la presse sur laquelle s’appuie l’opinion publique, jour après jour elle rend compte du développement de l’Affaire et diffuse ses propres mythes. Tout en elle joue sur le registre passionnel. Mais elle est aussi l’intermédiaire par lequel l’événement lui-même passe. Ensuite, les principales figures de l’Affaire sont des écrivains, des « intellectuels » : la nouvelle figure de l’intellectuel engagé crée l’événement, elle engendre le combat par la polémique, elle s’oppose aux institutions et au pouvoir au moyen de l’écriture. Une nouvelle société émerge. L’Affaire représente alors une évolution dans l’histoire de la démocratie : elle déplace l’instance de décision de l’ombre des ministères à la place publique ; elle consacre le triomphe des puissances d’opinion (assemblées, presse, instances locales) sur les puissances traditionnelles (notables, armée, justice).
The classic Jacobin critique of Taine’s account of revolutionary crowds is Georges Lefebvre, “Foules révolutionnaires,” Annales historiques de la Révolution fr ançaise, no. 61, Jan.- Feb. 1934, pp. 1-26 ↩︎
Cf. Le Suicide, 1894, woodcut; L’Exécution, 1894, woodcut; La Manifestation, 1893, woodcut; Au Violon, 1893, zincograph; La Rixe, 1892, woodcut. ↩︎
By the nineteenth century, the pícaro’s scheming to stay alive has typically taken a more elaborated and socially defined form: it has become ambition. It may in fact be a defining characteristic of the modern novel (as of bourgeois society) that it takes aspiration, getting ahead, seriously, rather than simply as the object of satire (which was the case in much earlier, more aristocratically determined literature), and thus it makes ambition the vehicle and emblem of Eros, that which totalizes the world as possession and progress. Ambition provides not only a typical novelistic theme, but also a dominant dynamic of plot: a force that drives the protagonist forward, assuring that no incident or action is final or closed in itself until such a moment as the ends of ambition have been clarified, through success or else renunciation. […] The ambitious heroes of the nineteenth-century novel—those of Balzac, for instance—may regularly be conceived as “desiring machines” whose presence in the text creates and sustains narrative movement through the forward march of desire, projecting the self onto the world through scenarios of desire imagined and then acted upon.
Peter Brooks, Reading for the Plot (1992), pp. 39-40
Je vais vous révéler en peu de mots un grand mystère de la vie humaine. L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort: VOULOIR et POUVOIR.
Être jeune, avoir soif du monde, avoir faim d’une femme, et voir s’ouvrir pour soi deux maisons ! mettre le pied au faubourg Saint-Germain chez la vicomtesse de Beauséant, le genou dans la Chaussée-d’Antin chez la comtesse de Restaud ! plonger d’un regard dans les salons de Paris en enfilade, et se croire assez joli garçon pour y trouver aide et protection dans un cœur de femme ! se sentir assez ambitieux pour donner un superbe coup de pied à la corde raide sur laquelle il faut marcher avec l’assurance du sauteur qui ne tombera pas, et avoir trouvé dans une charmante femme le meilleur des balanciers ! Avec ces pensées et devant cette femme qui se dressait sublime auprès d’un feu de mottes, entre le Code et la misère, qui n’aurait comme Eugène sondé l’avenir par une méditation, qui ne l’aurait meublé de succès ?
Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière, et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque avidement entre le colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer ! Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ce mot grandiose : —À nous deux maintenant !
La noirceur de l’intrigue, l’immoralité des personnages, mais aussi la neutralité narrative refusant toute norme et toute vérité définitive, choquent les lecteurs et la censure. Flaubert, ainsi que le gérant de la revue et son imprimeur, sont jugés pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». Le procureur Ernest Pinard lui reproche notamment le « réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères », ses « tableaux lascifs » et ses « images voluptueuses mêlées aux choses sacrées ».
Bel-Ami, édition de 1885, publié chez Victor-Havard. Gallica BnF.
Bel-Ami a été publié en feuilleton dans le journal Gil-Blas à partir du 6 avril 1885:
Publicité apparue dans le journalGil Blas avant la publication de Bel-Ami (11 janvier 1885):
Les boulevards
Jean Béraud, Kiosque (1879, Walters Art Museum)
Jean Béraud, Kiosque (1879, Walters Art Museum)
Jean Béraud, Kiosque (1879, Walters Art Museum)
Béraud – Le boulevard des Capucines (1889, Musée Carnavalet)
Béraud – Le boulevard des Capucines (1889, Musée Carnavalet)
Béraud – Le boulevard des Capucines (1889, Musée Carnavalet)
Steinlen – le 14 juillet (1889, Petit Palais)
Steinlen – le 14 juillet (1889, Petit Palais)
Steinlen – le 14 juillet (1889, Petit Palais)
Manet – Un Bar aux Folies-Bergères (1882, Courtauld)
Manet – Un Bar aux Folies-Bergères (1882, Courtauld)
Manet – Un Bar aux Folies-Bergères (1882, Courtauld)
Le quartier des Batignolles et la gare Saint-Lazare
1877. Monet – La Tranchée des Batignolles (coll. particulière)
1877. Monet – La Tranchée des Batignolles (coll. particulière)
1877. Monet – La Tranchée des Batignolles (coll. particulière)
1877. Monet – Gare St Lazare (Musée Marmottan Monet)
1877. Monet – Gare St Lazare (Musée Marmottan Monet)
1877. Monet – Gare St Lazare (Musée Marmottan Monet)
Maupassant en Algérie
Maupassant a été envoyé en Algérie en tant que correspondant pour le journal Le Gaulois pendant l’été de 1881 (voir l’article de RetroNews, ci-dessous). Il y a écrit toute une série d’articles, dont celui-ci, en juillet 1881 :
Maupassant et la causerie
Maupassant a publié une chronique à ce sujet en 1882, qui peut rappeler certaines scènes de Bel-Ami :
La rubrique des échos
Dans le chapitre VI, Georges Duroy devient chef des « Échos ». Or, qu’est-ce que c’est que cette rubrique ?
Voici ce que dit le “Petit lexique des microformes journalistiques” :
Titre sous lequel on désigne dans les journaux, les nouvelles qui circulent dans la ville, dans les salons et dans les lieux publics (Larousse du XIXe siècle). Par exemple, les « échos de Paris ».
Encore un clubman qui va disparaître ! On raconte que le jeune de X…, dont les couleurs sont connues sur le turf, est complètement ruiné ! Ses chevaux de course doivent être vendus prochainement. Quant au propriétaire, il part, dit-on, pour le Canada. – Gil Blas, 10 février 1888
Dans le même numéro de Gil Blas où Maupassant a publié sa réponse aux critiques de Bel-Ami, on peut voir un excellent exemple du genre d’écho, dans la rubrique intitulée « Nouvelles et Echos », que Georges Duroy lui-même aurait pu publier, ou vivre (notez, l’écho continue en haut de la prochaine colonne) :
« Oh, bigre, la jolie femme ! »
Maupassant et les critiques
Voici l’article de Maupassant où il répond aux critiques de son roman (dans l’édition critique d’Adeline Wrona, ce texte se trouve dans l’annexe 4) :
Affiche pour une adaptation cinématographique de Willy Forst, sortie en 1941. Georges Duroy monte l’escalier de la société, en arrivant «par les femmes».
Tous ces textes, publiés dans la presse entre 1881 (Zola) et 1886 (Millaud et Giffard), renvoie à un débat autour du journalisme au XIXe siècle en France : ses qualités littéraires, son son caractère quotidien et commercial, son rapport à l’information. Par cela ces articles renvoient également à Bel-Ami et aux réponses de certains critiques envers ce roman qu’ils trouvaient trop cynique, trop pessimiste à l’égard du journalisme français.
Échos du débat
Qu’en restera-t-il de tout cela ! Rien ? […]
Il aura été aussi inutile de chroniquer pendant des semaines, des années, qu’il est inutile d’écrire son nom sur le sable. […]
L’actualité, l’actualité ! Il faut courir après elle, où elle se trouve. On est son galérien, moins que cela, son domestique.
Jules Vallès, «Hier-Demain», Le Nain Jaune, 14 février 1867
Tous parurent étonnés de trouver à Lucien des scrupules et achevèrent de mettre en lambeaux sa robe prétexte pour lui passer la robe virile des journalistes.
Balzac, Illusions perdues, p. 422
Autres articles intéressants :
La chronique—son nom l’indique—n’est que la fleur d’un jour, et le lendemain elle est fanée. Et c’est grand’pitié de penser que tant d’hommes de talent qui auraient pu, peut-être, doter la littérature française de beaux et nobles ouvrages, ne laisseront derrière eux que des chroniques, c’est-à-dire une fumée qui se dissipe, un parfum qui s’évapore, un bruit qui rentre bientôt dans le grand silence des choses mortes — c’est-à-dire rien.
Octave Mirbeau, «Bâtons rompus», Le Gaulois, 24 mai 1886
Il y avait, parmi nous, des romancières de valeur incontestée, des nouvellistes de talent reconnu ; des chroniqueuses même acceptées hospitalièrement, je n’ose point vraiment dire par le vilain sexe… Mais, cela, c’est, en quelque sorte du journalisme assis. Aurait-on du journalisme debout, courant, alerte, s’assouplissant à l’actualité : du reportage, de l’information ?
En 1881, Émile Zola annonce qu’il quitte le journalisme dans un article intitulé « Adieux ». Un texte qui s’affirme comme une véritable déclaration d’indépendance de l’artiste engagé, en même temps qu’un plaidoyer en faveur de la presse.
À côté de l’œuvre considérable du romancier, dix volumes pleins de sève et de combativité nous rappellent qu’Émile Zola fut tour à tour, pendant seize années, chroniqueur, critique d’art, critique littéraire et critique dramatique. Et sans grossièreté, sans injurier personne, il n’y allait pas de main morte, je vous prie de le croire. (…) S’il était entré dans le journalisme pour gagner sa vie, il avait fini par l’aimer comme une vieille maîtresse à laquelle il demeurait fidèle et qui l’assistait, le cas échéant. Dans ses campagnes au Figaro, il fit sentir bec et ongles à ses adversaires. Mais il les choisissait. Il frappait à la tête et négligeait, dans la polémique, les pieds.
Pour Zola, Balzac incarne la modernité littéraire. L’une des plus spirituelles caricatures d’André Gill montre Émile Zola, les Rougon-Macquart sous le bras, rendant hommage à son modèle tandis que celui-ci répond au salut de son digne héritier. Source BnF
Gilbert-Martin, Charles, gravure, 1868 : “Balzac écrivant de nos jours les Scènes de la vie privée”. Planche gravée d’après un dessin de Cham pour “Nos jeux et nos ris”, 1868. Collection de la Maison de Balzac.
Introduction au roman
Ce roman sur l’ambition littéraire et le monde impitoyable de la presse est aujourd’hui considéré comme un des chefs-d’œuvre de Balzac. Lui-même le considérait comme « l’œuvre capitale dans l’œuvre ». De nombreux personnages de La Comédie humaine s’y croisent, le roman étant à la charnière des Scènes de la vie parisiennes et des Scènes de la vie de province. Le héros Lucien vit tour à tour à Angoulême et à Paris. Mais les contemporains de Balzac l’ont d’abord lu sous la forme de trois romans, publiés séparément en 1837 (Illusions perdues), 1839 (Un grand homme de province à Paris) et 1843 (Ève et David).
Nos deux héros, le beau poète Lucien de Rubempré [note de la prof : nos extraits se concentrent sur Lucien] et son ami l’inventeur-imprimeur David Séchard, sont jeunes, talentueux, idéalistes mais sans argent. Ils aiment la littérature et caressent l’espoir de « s’y faire un nom et une fortune ».
Soutenu financièrement par David, l’ambitieux Lucien quitte Angoulême aux côtés de Mme de Bargeton, sa protectrice, pour faire ses débuts littéraires à Paris. Il y découvre les séductions et les dangers de la société parisienne, la « réalité désespérante » de la presse et l’impitoyable milieu du journalisme, les coulisses du théâtre et les transactions mesquines de la librairie (l’édition). Son succès est aussi fulgurant que fragile et là où un Rastignac réussit, Rubempré trébuche et succombe face aux jaloux et aux intrigants.
Aussi, la chute de Lucien est-elle à la hauteur de ses illusions. Les dettes s’accumulent et les revers se succèdent : ses amis l’abandonnent, l’actrice Coralie, sa jeune maîtresse, meurt de chagrin dans ses bras, et Lucien, acculé, détourne l’argent de David qu’il compromet, et ruine sa famille.
Sainte-Beuve à propos de la deuxième partie des Illusions perdues (celle dont nous lisons un extrait) :
Ce qui est certain (et en réduisant toujours notre point de vue), c’est que la moralité littéraire de la presse en général a baissé depuis lors d’un cran. Si l’on peignait au complet le détail de ces mœurs, on ne le croirait pas. M. de Balzac a rassemblé, dernièrement, beaucoup de ces vilainies dans un roman qui a pour titre un Grand Homme deProvince,mais en les envéloppant de son fantastique ordinaire: comme dernier trait qu’il a omis, toutes ces révélations curieuses ne l’ont pas brouillé avec les gens en question, dès que leurs intérêts sont redevenus communs.
Sainte-Beuve, De la littérature industrielle, p. 684
Les personnages
Lucien Chardon / de Rubempré : jeune poète et écrivain de province qui vient tenter ses chances à Paris
D’Arthez, Fulgence, Chrestien, Giraud, etc. : jeunes écrivains du «Cénacle», un groupe littéraire ; idealistes, ils dédaignent le commerce et le journalisme et croient en «l’art pour l’art»
Finot : un directeur de journal
Étienne Lousteau : un journaliste
Raoul Nathan : un poète et écrivain, tour à tour ami et rival de Lucien
Dauriat : un libraire/éditeur (il publie des libres)
Lucien à Paris
La réaction de Lucien quand Madame de Bargeton, sa maîtresse, l’invite à Paris :
Lucien, hébété par le rapide coup d’œil qu’il jeta sur Paris, en entendant ces séduisantes paroles, crut n’avoir jusqu’alors joui que de la moitié de son cerveau ; il lui sembla que l’autre moitié se découvrait, tant ses idées s’agrandirent : il se vit, dans Angoulême, comme une grenouille sous sa pierre au fond d’un marécage. Paris et ses splendeurs, Paris, qui se produit dans toutes les imaginations de province comme un Eldorado, lui apparut avec sa robe d’or, la tête ceinte de pierreries royales, les bras ouverts aux talents. Les gens illustres allaient lui donner l’accolade fraternelle. Là tout souriait au génie. Là ni gentillâtres jaloux qui lançassent des mots piquants pour humilier l’écrivain, ni sotte indifférence pour la poésie. De là jaillissaient les œuvres des poètes, là elles étaient payées et mises en lumière. Après avoir lu les premières pages de l’Archer de Charles IX [son recueil de poèmes qu’il veut faire publier], les libraires ouvriraient leurs caisses et lui diraient : Combien voulez-vous ?
Traité de son temps non sans ironie comme « le plus fécond de nos romanciers », craint des potaches de tous âges pour ses longues descriptions, Balzac (1799-1850) est aujourd’hui considéré comme le plus grand romancier français de tous les temps. Mieux encore, c’est lui qui a inventé le roman sous sa forme moderne, en lui donnant pour tâche première de peindre les mœurs, sans pour autant rompre avec sa dimension proprement romanesque. Il est l’auteur d’une somme monumentale qui, en 1842, prend pour titre : La Comédie humaine, inachevée à sa mort en 1850. Balzac fut aussi une personnalité littéraire haute en couleurs, tirant parti de l’originalité de sa manière de vivre, quitte à être réduit à quelques clichés : travail nocturne, consommation excessive de café, canne merveilleuse, robe de moine, habitations excentriques. Une aubaine pour les feuilletonistes, les biographes et les caricaturistes.
Le poète des Fleurs du Mal entretient un rapport constant avec la presse de son époque, rapport qui influence certains aspects de sa production artistique. Écrivain-journaliste, comme nombre de ses contemporains, Baudelaire a toutefois un parcours singulier, multipliant les collaborations tout en faisant preuve d’une indépendance qui ne le lie à aucun journal.