« La Presse. Le Journaliste ». En tant que femme écrivant dans un monde dominé par les hommes, je suis ici pour dire que je suis une femme, que je suis un écrivain, et que je vais devenir de plus en plus audacieuse avec les développements modernes de la société. Je n’attendrai pas que les choses changent, je suis le changement. En tant que défenseur du modernisme, du mouvement et de la croissance dans un sens gauchiste, je suis la candidate idéale pour apprécier la position futuriste de Monsieur Pierre Giffard sur le reportage. Cependant, je ne suis pas intéressé par « les chemins de fer, les télégraphes et les téléphones » qui, comme Giffard nous le rappelle, ont transformé le monde. De plus, je ne suis pas intéressé par une forme scientifique, formelle et sans passion de faux journalisme déguisé sous le pseudonyme de « Monsieur Reportage ». Oui, j’apprécie la facilité. Mais je refuse de sacrifier l’amour, le soin et l’inventivité de mon travail. La lettre d’amour à l’écriture désordonnée, l’enveloppe fermée par un baiser rouge, sont devenues le télégraphe stérile d’un jeune homme à son amante. L’odeur des fleurs qui s’épanouissent lors d’une promenade dans Paris est devenue l’odeur de la pisse et de la fumée des chemins de fer. Je veux la liberté politique, j’aime le progrès et la justice, mais dans ce débat, je suppose que Geneviève de Carcassonne prend la forme d’une vieille dame grincheuse.
Si nous continuons à défendre et à accepter le reportage, nous ne ferons que contribuer à la nouvelle ère de la littérature industrielle, qui empoisonne notre société et vide ce monde de toute trace d’imagination. Je suis une personne positive, passionnée et joyeuse, et je recule devant la progression de ce petit enfant faible et affamé qu’est le monde de la vraie littérature à l’heure présente. Merci, Millaud, pour votre résumé éloquent et concis : « Le journalisme à tué la littérature et le reportage est en train de tuer le journalisme ». Nous ne devons pas prendre la forme de Médée et tuer notre fille. Nous ne devons pas non plus l’oublier ou la laisser derrière nous. Le reportage est une déclaration sans opinion, sans commentaire. C’est une belle femme sans amant, une bouteille de vin avec un trou au fond, un radis sans beurre, un vieil homme qui marche sans son écharpe par une froide nuit d’hiver.
Où est le feu ? Où est l’amour ? Je propose un challenge à tous mes lecteurs, mais surtout aux femmes : prenez un cahier. Quittez la maison. Quittez vos enfants, votre mari, tout. Dites que vous faites les courses s’il le faut. Allez marcher le plus longtemps possible dans Paris. Souriez à ceux que vous voyez, engagez la conversation. Regardez avec vos yeux, mais aussi avec vos autres sens. Pensez à ce que vous sentez, à la sensation de l’air sur vos joues, à la sensation des pavés sous vos pieds. Notez tout cela et précisez vos descriptions. Si vous remarquez quelqu’un d’intéressant, de charmant ou un peu bizarre, parlez avec lui, posez des questions. Notez ce que la personne dit. Mais ici, mes amis, allez plus loin. Écrivez ce que vous pensez de ce qu’ils disent, et écrivez pourquoi ils l’ont dit.
Quel est le contexte ? Pourquoi les gens sont-ils comme ils sont ? Tout le monde peut être chroniqueur, à condition de pousser son esprit jusqu’à la réflexion, jusqu’à l’attention véritable. Le reportage est construit sur une rhétorique du mensonge. La vérité ne se trouve que quand nous regardons au-delà de la surface, quand nous nous interrogeons et écrivons non seulement pour divertir mais aussi pour comprendre, et pour nourrir nos imaginations et nos âmes. Je suis d’accord avec Millaud sur sa position contre le reportage, et j’espère que chacun de mes chers lecteurs va créer ses propres histoires face à cette sécheresse de la vraie littérature. Je reviendrai la semaine prochaine avec une autre chronique animée – la prochaine fois, je vous assure que je redeviendrai coquin, indulgent et joyeux. Pour l’instant, mes amis, je vous remercie d’avoir lu une autre chronique de Geneviève de Carcassonne.