Réponse à M. Millaud

Mes amis,

J’en ai tellement assez des hommes et de leurs opinions. Un homme forme une pensée cohérente, et tout à coup il croit qu’il est Socrate. Cette semaine, mon cher collègue Albert Millaud a partagé ce que j’ai trouvé être l’article le plus dramatique que j’ai lu au cours du mois dernier. Le monde du journalisme est pollué par des journalistes comme Millaud qui se croient plus intelligents que les autres et qui prétendent savoir ce qu’il est mieux pour la société.

Premièrement, permettez-moi de dire ceci: le but du journal est d’amuser, et les façons de le faire sont multiples. Millaud aime « les plus belles fables grecques et romaines » dont il parle, mais moi et beaucoup d’autres Parisiens ne les aiment pas. Quand j’ouvre le journal, je veux glousser. Je veux causer avec mes amis sur les sujets triviaux que j’ai lus le matin. C’est pourquoi j’aime ce que je fais – j’ai l’opportunité de partager des petits moments de plaisir avec mon public et de voir la joie qu’il leur apporte.

La popularité du reportage est excellente pour mon entreprise. Je gagne plus d’argent que jamais, et je n’ai pas peur de l’admettre. Il faut dire que la richesse était mon but. Certains croient sûrement que les journaux sont faits pour rapporter des faits, et il est necessaire que les écrivains publient les articles les plus intellectuels et sophistiqués. Je ne suis pas l’un d’entre eux, et je ne fais pas cela. Je suis sûr qu’il y a de grandes parties du journal que mes lecteurs ignorent parce qu’elles sont ennuyeuses, prétentieuses, ou peu attrayantes, et je ne vois pas cela comme un problème. Ils paient pour lire mes chroniques, c’est tout ce qui m’importe.

Pourquoi croit Millaud que c’est mal pour le journal de gagner de l’argent comme objectif? C’est une entreprise, nous essayons tout juste de gagner un salaire décent. Quelqu’un comme Millaud qui a ratissé grâce au journal ne peut pas se plaindre de quelqu’un qui veut faire la même chose. Ne vous inquiétez pas de ce que les autres journalistes écrivent; cela ne fera que vous distraire de votre travail. Et si vous n’aimez pas ses articles, ne les lisez pas. Si vous détestez que les gens écrivent pour leurs « dix francs de lignes, » avez-vous considéré l’état de notre économie? Pourquoi ne pas critiquer les conditions qui rendent la survie si difficile? 

Le reportage donne à tous quelque chose à discuter, quelque chose à attendre chaque jour. Peu importe si leur journée va mal, ils peuvent lire quelque chose d’amusant. Les journaux sont pour le peuple, pas juste les aristocrates, et c’est pourquoi j’étais particulièrement offensée par la déclaration que le journal moderne est « tout simplement un ramassis de ragots, dans le genre de ceux qui domestiques échangent en dinant. » En autre, les journaux sont imprimés tous les jours pour une raison – chaque jour il y a quelque chose de nouveau à lire et à penser. Avec ce rythme, qui est un bon rythme, tous les articles ne seront pas la meilleure littérature qu’on a jamais lue.

J’ai aussi lu l’article de Giffard, que j’ai beaucoup aimé. Giffard a soulevé deux points importants. Premièrement, avec l’augmentation du reportage, le monde des journaux gagne de nouveaux journalistes fantastiques et « un personnel de plus en plus instruit, » contrairement à ce que Millaud a dit. Deuxièmement, le journalisme français est, et reste toujours, « très alerte et très vivant. » Paris est une ville pleine d’action, et elle mérite des journaux qui puissent suivre.

Enfin, ce serait une injustice pour le public si je ne partageais pas une rumeur que j’ai entendue récemment. Lors de son récent voyage aux états-unis, mes sources me disent, une maîtresse de Millaud l’a trompé avec un journaliste américain. D’après certaines informations, Millaud était furieux quand il a appris cette information. Donc, je ne pense pas que c’est une coïncidence que Millaud ait publié un article aussi critique du style de journalisme américain.

À la prochaine,

La Marquise de Mimizan