Le roman-feuilleton, la publicité, la vie quotidienne

Affiches pour romans-feuilletons (fichier avec images)

On ne s’abonne plus à un journal à cause de son opinion semblable à la sienne; on s’y abonne, toutes couleurs indifférentes, suivant que le feuilleton est plus ou moins amusant.

Un député en 1845, cité dans Palmer, Des petits journaux aux grandes agences, p. 2

Le « feuilleton » d’un journal, c’est avant tout une rubrique qui se situe en bas de page – et pas forcément de la première – d’un quotidien et qui est séparée du reste du texte (en général plus sérieux et politique) par une fine ligne. Cet élément, également appelé « rez-de-chaussée », est un des premiers rubricages clairs dans la presse de l’époque (il se développe dans les années 1830). Il est d’abord consacré à des textes de « Variétés » et autres « Revues » : on y trouve surtout de la critique littéraire, artistique et dramatique. Théophile Gautier et Alexandre Dumas, par exemple, en écrivent beaucoup.

Au cours du siècle, l’utilisation de cette rubrique se spécialise : on y fait paraître des extraits littéraires, puis des romans dans leur totalité, publiés par tranches, en parallèle d’articles de critique.

Le roman-feuilleton est alors caractérisé par une publication morcelée, par la mention « À suivre » ou encore « La suite à demain » et par sa localisation dans la section « feuilleton » du quotidien. En même temps qu’il se développe, le genre se normalise.

Certains textes sont écrits spécifiquement pour ce mode de publication : souvent longs, ce sont des romans populaires qui exploitent le suspens des interruptions programmées, et n’hésitent pas à ajouter des péripéties, à réutiliser des personnages d’un roman à l’autre, afin de conserver l’attention des lecteurs : Alexandre Dumas et ses mousquetaires, Eugène Sue avec Les Mystères de Paris ou encore Ponson du Terrail et ses nombreux romans où l’on retrouve Rocambole, en sont d’excellents exemples.

Le roman-feuilleton, qu’est-ce que c’est? (Blog de Gallica)

Le roman-feuilleton et la vie quotidienne

Qui lisait quoi dans le journal? Comment lisait-on? Quel rapport à la vie quotidienne? Voici ce qu’en disait des Françaises qui étaient jeunes vers 1900 :

— Ma mère, comme toutes les dames, elle lisait moins le journal que mon père. Les femmes ne s’intéressaient pas à la politique ; elles lisaient les faits divers, les procès, les choses comme ça. (Femme née à Paris en 1893 ; père vendeur au Bon Marché, mère sans profession).

— Bien sûr que oui ! Ma mère lisait le feuilleton; comme toutes les femmes, ça l’intéressait ! (Femme née en 1888 dans un bourg agricole des Vosges; père employé des chemins de fer, mère sans profession.)

— Tous les matins, on déposait à notre porte le Matin. Mon père le lisait à fond, après le repas de midi. Mais il ne lisait pas le feuilleton, oh non ! Sûrement pas ! Ma mère, elle aussi, lisait le journal mais elle ne se passionnait pas pour la politique; ce qu’elle lisait, bien sûr, c’était le feuilleton. (Femme née en 1897 à Paris; père petit entrepreneur en maçonnerie, mère sans profession.)

— La voisine de mes parents ne savait pas lire. Tous les soirs elle appelait ma mère en criant : «Venez, venez donc!», pour qu’elle vienne lui lire son feuilleton. (Homme né en 1888 dans un bourg de l’Ardèche ; mère scolarisée.)

— Ma mère savait à peine lire. Alors tous les soirs, elle me disait : «Eh bien ! Tu ne me le lis pas, aujourd’hui, le feuilleton?» (Femme née à Paris en 1900; parents émigrés de l’Auvergne; mère femme de ménage.)

— Ma mère découpait le feuilleton, bien sûr ! Elle le reliait aussi: c’étàit une femme très ordonnée. (Femme née en 1899 à Pans; pere jardinier de la ville de Paris, mère sans profession.)

Propos recueillis dans Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien

Relier les romans-feuilletons et les livraisons

Voir ces exemples de feuilletons reliés ici.


La réclame (voir le Lexique) et la critique littéraire

Voici un commentaire intéressant d’un critique littéraire en 1884:

Ici on apprend que les nouveaux livres arrivent aux rédactions des journaux avec des réclames toutes faites collées à l’intérieur du livre – il suffit de les copier !

Eugène Sue et les Mystères de Paris

Le roman Les Mystères de Paris a d’abord paru en feuilleton dans le journal Le Journal des DébatsVoici le premier chapitre dans le journal, le 19 juin 1842.

Les Mystères de Paris est l’œuvre majeure d’Eugène Sue, celle qui le fait réellement percer. Il s’agit d’un texte que l’on considère comme fondateur pour le genre du roman-feuilleton. Son héros est Rodolphe, un jeune homme riche qui passe son temps et sa fortune à aider les moins fortunés : il est une sorte de justicier social dans Paris.

Au début du roman, il rencontre deux personnages qui auront un rôle important dans le roman : le Chourineur, un homme au passé trouble, et une jeune fille surnommée la Goualeuse ou encore Fleur-de-Marie – généreuse quoique pauvre, elle se trouve dans une situation très difficile. Rodolphe rachète les dettes de la Goualeuse et la place hors de Paris. Néanmoins, Rodolphe s’avère ne pas être un ouvrier, mais un homme de plus noble extraction. Il retourne à Paris, à la recherche d’un certain François Germain… et dans ces aventures, il est secouru par le Chourineur qu’il s’est attaché. Il vient surtout en aide à tous ceux qu’il considère comme traités de façon injuste. Son parcours lui permettra également de découvrir la véritable identité de la Goualeuse, mais celle-ci reste irrévocablement marquée par son passé. 

Les Mystères de Paris en feuilleton, Gallica

Il y a énormément d’éditions différentes des Mystères de Paris en volume :

Quelques articles intéressants sur RetroNews et sur Gallica :

Théophile Gautier

  • Voici l’intégralité de sa chronique, dans la rubrique feuilleton de La Pressedisponible sur RetroNews. La chronique est écrite à l’occasion de l’adaptation théatrâle des Mystères de Paris.

Sainte-Beuve et la littérature industrielle

La fondation de La Presse par Girardin et du Siècle par Dutacq révolutionnent la presse en 1836. Ils s’appuient sur la publicité pour faire baisser de moitié le prix de l’abonnement. Pour attirer des annonceurs, ils doivent réussir à augmenter de façon conséquente le nombre d’abonnés. C’est le rôle assigné au roman-feuilleton qui doit permettre d’élargir et de fidéliser un nouveau lectorat et trouve sa place au rez-de-chaussée du journal, délimité par un trait noir et dévolu à la matière non politique. Les grands quotidiens se battent pour attirer des écrivains célèbres (Balzac, Hugo, Sand) : Eugène Sue se voit offrir 100 000 francs pour publier Le Juif errant dans le Constitutionnel en 1844-1845 (25 juin 1844) et fait gagner plus de 20 000 abonnements au journal. Le triomphe du roman-feuilleton va de pair avec le développement de la presse moderne.

Sainte-Beuve dénonce le roman-feuilleton comme une « littérature industrielle », devenue une marchandise standardisée, de faible qualité, faite pour plaire au plus grand nombre. Derrière ces arguments se dessine une conception de la littérature élitiste, hostile au roman-feuilleton et à son ouverture à un public plus large (plus jeune, plus féminin, plus populaire). « Au lieu de s’adresser à l’élite des intelligences, on s’adressa plus qu’aux instincts de la foule, non pour les corriger mais pour les satisfaire ; la littérature fut mise à la portée des épiciers ».

Julian Ebersold, La parution des « Mystères de Paris » en 1842, RetroNews

Les faits divers

COURS 7

Définir le fait divers

Sous cette rubrique, les journaux groupent avec art et publient régulièrement les nouvelles de toutes sortes qui courent le monde : petits scandales, accidents de voiture, crimes épouvantables, suicides d’amour, couvreur tombant d’un cinquième étage, vol à main armée, pluie de sauterelles ou de crapauds, naufrages, incendies, inondations, aventures cocasses, enlèvement mystérieux, exécutions à mort, cas d’hydrophobie, d’anthropophagie, de somnambulisme et de léthargie, les sauvetages y entrant pour une large part et les phénomènes de la nature tels que veaux à deux têtes, crapauds âgés de quatre mille ans, jumeaux soudés par la peau du ventre, enfants à trois yeux, nains extraordinaires.
Grand Dictionnaire Larousse du 21e siècle

Nouvelles peu importantes d’un journal.
Petit Robert, 1983.

Les événements du jour (ayant trait aux accidents, délits, crimes) sans lien entre eux, faisant l’objet d’une rubrique dans le journal.
Petit Robert, 1995.

Accident, délit ou événement de la vie sociale qui n’entre dans aucune des catégories de l’information.
Glossaire des termes de presse

BnF Essentiels, Définir le fait divers

Tenus par les contemporains pour des formes spécifiques de leur modernité culturelle, fait divers et roman criminel sont ainsi désignés comme les deux types privilégiés de récits signalant l’entrée progressive du pays dans l’ère «médiatique».

Dominique Kalifa, Crime et culture au XIXe siècle, pp. 131-132

Exemples de faits divers :

Questions de réflexion

  • Pourquoi le fait divers signifierait-il l’entrée du pays dans «l’ère médiatique», comme le dit Kalifa ci-dessus ?
  • Discutez du lien entre les faits divers et la rue et les boulevards et ce qu’on peut appeler, en adaptant Baudelaire, «le spectacle de la vie moderne».
  • Expliquez le lien entre les faits divers et la popularisation de la presse après 1863 (Petit Journal et journaux à un sou). [voir Schwartz p. 37, 39]
  • Expliquez le lien entre les faits divers et les romans-feuilletons. [voir Schwartz p. 43]

D’autres articles intéressants sur le fait divers dans la rubrique presse du site BnF Essentiels :


En 1884 a apparu, très brièvement (dix numéros seulement) le Journal des Assassins, un journal hebdomadaire satirique et blagueur qui faisait référence à beaucoup de criminels et de crimes connus et très médiatisés. Le sous-titre était “Organe officiel des chourineurs et des voleurs” !

Les chroniqueuses et les chroniqueurs

Introduction aux chroniqueurs·ses (diaporama)


Voici “La Vie à Paris” de Claretie dans le journal Le Temps du 9 mars 1880.


Delphine de Girardin [pseudonyme : le vicomte de Launay]

Quand il ne s’est rien passé dans la semaine, le vicomte ne laisse pas tomber la conversation pour cela, il la soutient à lui tout seul, et avec quel esprit étincelant, quelle ironie incisive, quelle finesse pénétrante! Que de vérités ingénieuses, que de frivolités profondes, et à travers ce babil qui affecte d’être léger, quelle droiture de coeur, quelle hauteur d’âme, quel parfait sens moral! Comme le mondain vicomte cingle de sa badine tout ce qui est lâche, tout ce qui est laid, tout ce qui est hypocrite! comme il fait la guerre aux mensonges, aux bassesses, aux turpitudes, sans jamais prendre le ton déclamatoire! avec quel art il sertit le ridicule dans une monture de plaisanteries !

Théophile Gautier, Introduction aux Œuvres complètes de Delphine de Girardin (1857)
  • Les chroniques de Delphine de Girardin ont apparu sous le titre «Courrier de Paris», signé du pseudonyme «Le vicomte de Launay», dans le journal La Presse (fondé en 1836 et dirigé par son mari, Émile de Girardin), et ont été publiées en volume plus tard sous le titre Lettres parisiennes.
  • Voici sa première chronique telle qu’elle apparassait dans La Presse le 29 septembre 1836, en bas de la première page, dans la rubrique ‘feuilleton’.
  • Article très intéressant sur RetroNews au sujet de Delphine de Girardin et le genre de la chronique.

Léo Lespès [pseudonyme : Timothée Trimm]

Timothée Trimm était le pseudonyme de Léo Lespès, le chroniqueur très populaire—dans les deux sens du terme—au Petit Journal aux années 1860:

Pseudonyme de Léo Lespès, de son vrai prénom, Joseph Napoléon, journaliste et romancier dont le rôle de chroniqueur dans Le Petit Journal l’a assuré d’une renommée sans égale. Après avoir travaillé au Figaro de Villemessant, il fait sa première chronique le 26 juillet 1863 sans discontinuité jusqu’à son départ pour Le Petit Moniteur en 1869. Il est remplacé par Thomas Grimm (pseudonyme collectif regroupant Henri Escoffier et ses collaborateurs). Méprisé par l’intelligentsia de l’époque, ses chroniques prenaient la forme de conversation avec le lecteur pour aborder des sujets de la vie quotidienne et des faits-divers

Julien Ebersold, «La fondation du Petit Journal en 1863», RetroNews

Quant au chroniqueur du Petit Journal, pourquoi le peuple ne l’aimerait-il pas, comment pourrait-il ne pas l’aimer? Dédaigneux des règles, méprisant la solennité, il sait accommoder l’événement du matin, l’accident du soir, au goût des lecteurs, saupoudrant toutes les tartines avec un sel gris piquant comme celui que les ménagères jettent à poignées dans la marmite honnête du pot-au-feu.

[…] sans savoir comme d’autres aiguiser les mots, ciseler les phrases, il est devenu le chroniqueur aimé, le journaliste indispensable. Ils sont des millions en France qui n’ont été qu’à la mutuelle ou à la primaire, point au collège; il ne faut pas avec eux être trop instruit ou trop brillant, jeter de l’éclat ou faire de la majesté; on doit leur parler de choses qu’ils savent, des gens qu’ils connaissent. A ce prix-là on est populaire, et je comprends cette popularité, sans être fou de cette littérature.

Jules Vallès au sujet de Trimm dans Le Figaro, 1866 (RetroNews)
Diogène avec sa lanterne, avec légende qui lit en partie "Messieurs, je cherche un homme, et de mon œil lent terne, je n'en vois pas"
Daumier – caricature montrant Diogène, «Bon mot du temps» (Boston Public Library)

Jules Vallès

Les activités journalistiques de Jules Vallès (1832-1885) sont inséparables de son engagement politique. Celui qui fut l’un des élus de la Commune est aussi le fondateur de l’éphémère Cri du peuple, journal emblématique de l’insurrection de 1871.

Le Cri du Peuple, premier grand quotidien socialiste (RetroNews)

«Hier-Demain», déclaration de mission journalistique, dans Le Nain jaune en 1867 :


Caroline Rémy [Séverine]

Il y avait des grandes femmes journalistes avant Séverine, au 19ème siècle : des chroniqueuses d’une part, des publicistes d’autre part. Mais Séverine a inauguré une nouvelle lignée, celle des femmes reporters. Elle va inventer autre chose. Elle met en scène un corps émotif, un corps exposé, en montrant qu’elle prend les mêmes risques les hommes, c’est un journalisme total, de terrain. La peur est instrument de validation du reportage. Elle la met en scène, et va même plus loin que les hommes, en pratiquant pour la première fois en France un journalisme d’identification. Elle choisit de prendre la place du sujet dont elle écrit l’histoire.

Marie-Ève Thérenty

Images de Séverine:

Les tableaux de Paris et la littérature panoramique

COURS 3

La littérature panoramique et le journal

The Revolution generated an immense amount of writing about France, and the production about Paris increased astronomically. Many contemporaries must have agreed with J. B. Pujoulx, who noted in the first chapter of Paris à la fin du XVIIIe siècle that no period favored the observer more than the present: ‘Everything is new.’ […]

The great number of guidebooks to Paris that appeared in the new century testifies to the need for guidance, not simply because of the altered topography but also, and more urgently, because of the radically altered character or, to use the term favored by contemporaries, the ‘physiognomyof a city that had been shaken to its foundations by revolution.

Ferguson, p. 55

[…] the mass press incessantly conjured a never-ending festival of modern life that unfolded in and around the grands boulevards. The new mass press provided a printed digest of the flâneur’s roving eye.

Schwartz, p. 16

Le diable boiteux

Asmodeus (Asmodée), a rather benevolent king of demons […] first made his appearance in the popular 1707 novel Le diable boiteux, by Alain-René Lesage. Lesage’s demon, typically depicted with a crooked back and a cane, explores the city of Madrid and the everyday life of its inhabitants by removing rooftops and peeking inside people’s homes. References to this figure appear frequently in works written after Lesage’s novel, most notably in Louis-Sébastien Mercier’s Tableau de Paris (1781-1788), a work that also served as a key precursor to Paris, ou le livre des cent-et-un. Lesage’s character thus provided a literary model for the project of Paris, ou le livre des cent-et-un and for panoramic literature as a whole.

Anne O’Neil-Henry and Masha Belenky, Popular Literature from Nineteenth-Century France, p. 3

Balzac, dans son roman Ferragus (1833), décrit Paris comme un «monstre complet:

Il fait écho aux éditeurs du « Diable boiteux à Paris, ou le livre des cent-et-un » (un projet auquel Balzac avait participé) qui avaient dit la même chose à la page 3 du Figaro (25 juillet 1831).

Mercier, Le Tableau de Paris

J’ai tant couru pour faire Le Tableau de Paris que je puis dire l’avoir fait avec mes jambes ; aussi ai-je appris à marcher sur le pavé de la capitale d’une manière leste, vive et prompte. (…) On ne peut rien faire lentement à Paris, parce que d’autres attendent.

Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, 1781

L’Hermite de la Chaussée d’Antin

Entre 1811 et 1814, Étienne de Jouy a publié dans la rubrique feuilleton du journal la Gazette de France des observations sur les mœurs françaises et parisiennes sous le pseudonyme «L’Hermite de la Chaussée d’Antin» :

Ces écrits ont aussi été publiés en volume :

Les Français peints par eux-mêmes

La chronique dans le journal comme continuation de la littérature panoramique

Magic lantern show

Jules Claretie parle de ses chroniques comme « une sorte de lanterne magique » (image ci-dessus) où on peut observer les personnages de son temps (« Préface » p. VIII).

Ailleurs, en parlant du 19e siècle, il a dit :

Ce temps-ci tient surtout à deux choses : être amusé et être renseigné. […] Aujourd’hui, le renseignement s’imprime. Il n’y a plus de causeurs [notez : causer = parler, discuter] à proprement dire ; il n’y a qu’un causeur gigantesque, un causeur inépuisable, un causeur extraordinaire, qui rabâche parfois, mais qui plus souvent a bien du nouveau à nous apprendre — et ce causeur, c’est le journal. Ce Gargantua de la causerie avale toute l’actualité et ne laisse au beaux esprits de dessert que les miettes de son repas. C’est pourquoi, la plupart du temps, la causerie actuelle […] se compose des bons mots de la gazette du matin ou de la nouvelle de la feuille du soir répétés simplement et récités par ceux qui se taillent de l’esprit tout fait dans la chronique.

Jules Claretie, La Vie à Paris 1880, p. 2

Le coût de la vie et le prix du journal au 19e siècle

Combien coûtait la vie à Paris au 19e siècle ?

Avant 1836, on s’abonnait à la plupart des journaux au prix de 80 francs par an. En 1836, deux journaux, La Presse et le Siècle, ont réduit le prix de l’abonnement à 40 fr par an, par le moyen des annonces (qui financent l’autre 40 fr).

En 1863, les journaux non-politiques ont pu se vendre au numéro, sans abonnement, pour un prix de 5 centimes – ce qu’on appelle plus communément un sou. Les abonnements annuels coutaient entre 36 et 48 francs par an.

Après 1881, tous les journaux pouvaient se vendre au numéro ; les quotidiens coûtaient un ou deux sous (5 ou 10 centimes). Une revue illustrée se vendait généralement à 20 centimes le numéro.

Mais que représentaient 80 francs ? 40 francs ? un sou ?

Notez : un sou = 5 centimes ; 20 sous = 1 franc

Pour vous donner une petite idée :

  • Vers 1830, un grand pain coûtait environ 20-24 sous (1 franc ou 1 franc 20 centimes) à Paris. On pouvait acheter une bouteille de vin ordinaire pour 15-25 sous (entre 75 centimes et 1 fr 25). Un manteau coûtait entre 50 et 100 francs, une robe de femme entre 6 et 20 francs, selon la qualité.

  • Vers 1835, un ouvrier dans l’industrie de la soie à Lyon gagnait environ 2 fr ou 2 fr 50 par jour. Un ouvrier pouvait payer ses repas et un peu de vin avec 30 sous (1 fr 50) par jour. Il payait le loyer d’un appartement modeste pour 100 fr ou 150 fr par an.

  • Vers 1885, un voyageur à Paris pouvait se payer une chambre d’hôtel à 4 ou 5 fr la nuit. Un dîner dans un restaurant, à prix fixe, coûtait environ 2 fr 50 ou 3 fr 50.

Sources : A New Picture of Paris (1831), Report on the Commercial Relations between France and Great Britain (1835), Paris en poche (1884)

Que peut-on acheter pour un sou dans les rues de Paris ?

Le journal après 1836

COURS 2

Et un article sur le contexte de 1836, l’année où ont été fondés ces deux titres :

Emile de Girardin lance le 1er juillet 1836 La Presse, le premier quotidien à bon marché. Il est considéré comme le fondateur de la presse moderne : un journal d’information et de divertissement, financé par la publicité. Ce journal doit son succès à un prix de vente bon marché et aux romans feuilletons qui lui permettent d’élargir son lectorat. Malgré les critiques, ses innovations sont largement imitées par ses concurrents et font entrer la presse dans « l’ère médiatique ».

Julien Ebersold, “La fondation de la Presse en 1836″

La page des annonces dans La Presse quelques mois après sa fondation en juillet :

Combien coûtait la vie à Paris au 19e siècle ?

Avant 1836, on s’abonnait à la plupart des journaux au prix de 80 francs par an. En 1836, deux journaux, La Presse et le Siècle réduisent le prix de l’abonnement à 40 fr par an, par le moyen des annonces (qui financent l’autre 40 fr).

Mais que représentaient 80 francs ? 40 francs ? Voir par ici.

La nation, la «communauté imaginée», la presse

COURS 2

[The nation] is an imagined political community – and imagined as both inherently limited and sovereign. It is imagined because the members of even the smallest nation will never know most of their fellow-members, or even hear of them, yet in the minds of each lives the image of their communion. […]

The nation is imagined as limited because even the largest of them […] has finite, if elastic, boundaries, beyond which lie other nations. […]

It is imagined as sovereign because the concept was born in an age in which Enlightenment and Revolution were destroying the legitimacy of the divinely-ordained, hierarchical dynastic realm. […]

Finally, it is imagined as a community, because, regardless of the actual inequality and exploitation that may prevail in each, the nation is always conceived as a deep, horizontal comradeship.

Benedict Anderson, Imagined Communities, pp. 6-7

Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s’il est Burgonde, Alain, Taïfale, Visigoth ; tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au xiiie siècle. […] La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens.

Ernest Renan, «Qu’est-ce qu’une nation?» (1882)

Das Zeitungslesen des Morgens früh ist eine Art von realistischem Morgensegen. (La lecture du journal, le matin au lever, est une sorte de prière du matin réaliste).

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe allemand, Notes et Fragments, 1803-1806

Introduction à la presse du 19e siècle

COURS 1

La «civilisation du journal»

Les historiens du livre et de la lecture ont souvent vu le XIXᵉ siècle comme le moment du triomphe du livre; il faudrait sans doute plutôt parler du triomphe de l’imprimé et, plus précisément, de l’imprimé périodique. Car c’est par la presse, celle du roman-feuilleton et des quotidiens à un sou, que les nouveaux alphabétisés entrent dans la lecture. […] Plus avant dans Ie siecle, on observe que les classes populaires viennent à la lecture par le journal, et par le roman-feuilleton en particulier. […]

En 1803, les onze titres de quotidiens parisiens autorisés par le pouvoir représentent un tirage journalier de 36 000 exemplaires. Entre 1830 et 1914, la presse parisienne, dont la diffusion est à la fois parisienne et provinciale, voit ses tirages multipliés par soixante. Deux moments de changements d’échelle se détachent : la rupture de 1836, tout d’abord, avec la division par deux du prix de l’abonnement, qui passe de 80 à 40 francs et permet en deux décennies le doublement des tirages, atteignant 145 000 exemplaires en 1845. Ensuite, la rupture de 1863, avec l’affirmation de la presse vendue au numéro pour un sou (5 centimes) : entre 1845 et 1870, les tirages quintuplent et dépassent le million d’exemplaires, dont 600 000 pour la presse à un sou en 1870. Les quatre-vingts quotidiens parisiens atteignent, en 1914, 5,5 millions d’exemplaires.

Judith Lyon-Caen, «Lecteurs et lectures», La Civilisation du Journal, p. 29

Les journaux mentionnés par Judith Lyon-Caen au début du chapitre «Lecteurs et lectures»:

L’alphabétisme

Un graphique montrant que de plus en plus d’hommes et de femmes peuvent signer leur nom entre le début et la fin du 19e siècle (Jean-Pierre Pélissier et Danièle Rébaudo, « Une approche de l’illettrisme en France », Histoire & mesure, XIX – 1/2 | 2004, 161-202)

La matérialité du journal

Deux courts-métrages de l’année 1896 où on peut voir la taille d’un journal quotidien :

Le Coucher de la mariée (1896) – Scène légèrement érotique. On voit un mari qui attend que sa femme se déshabille. Pour passer le temps en attendant, il ouvre un journal – à l’envers !
Court-métrage de Nadar (1896) – On voit Nadar lui-même fumant et ouvrant un journal. On peut voir que le journal se plie en accordéon et peut se porter de cette manière dans la poche.